Multinationales + Luxembourg = des milliards d'euros soustraits aux Etats ! Système à nu une fois de plus...

  dessin : www.les-crises.fr

...et Juncker est dans une position intenable ! (quoique...) :

 

S'il fallait encore montrer la nature du système global, le scandale du Luxembourg (le "LuxLeaks"* révélé hier par 40 médias) en apporterait une double illustration :

 

1.  Sur le système issu du putsch ultralibéral des nineties

Décidée par les Etats au profit de la finance dans les années 1990, la dérégulation planétaire a notamment permis à 340 multinationales – dont Axa, Crédit agricole, Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea – de minimiser leurs impôts. Profitant de ce que Le Monde appelle "les déficiences de la réglementation internationale", elles ont créé au Luxembourg ("pays" dont le métier est l'évasion fiscale) des filiales, des holdings, ou carrément elles y ont délocalisé leur siège social ; et elles ont passé avec les autorités luxembourgeoises des accords secrets stipulant que leurs profits transférés seraient peu taxés, voire pas du tout. Résultat : une colossale évasion fiscale commise par plusieurs centaines de firmes géantes.

Des milliards d'euros ont ainsi échappé aux Etats : c'est-à-dire aux nations, n'en déplaise aux perroquets libéraux pour qui "l'adversaire c'est l'Etat".

Le point névralgique est le caractère légal de cette spoliation par le privé : le tax ruling (entre une entreprise et une administration fiscale) est une pratique conforme à l'anomie mondiale instaurée à partir des années 1990.

C'est ce que plaidait le ministre des Finances luxembourgeois le 29 octobre, avec ces deux arguments : 1. "le tax-ruling fait partie de notre patrimoine" (sic),  2. "le maintien d'une certaine compétitivité loyale (sic) entre les Etats dans le domaine fiscal est indispensable..." Tout dépend de ce que l'on appelle "Etat", et du contenu que l'on assigne à la notion de "compétitivité" dans une économie de plus en plus circonscrite au casino financier.

  

2.  Sur la véritable nature de l'exécutif européen

Ces accords avec les multinationales étant secrets, le gouvernement luxembourgeois n'en a averti ni ses homologues européens, ni Bruxelles. Aujourd'hui la Commission, prise de court par l'explosion du scandale, proclame qu'elle va agir. On serait curieux de voir ça, sachant que le président de cette Commission est désormais l'ex-Premier ministre du Luxembourg ! M. Jean-Claude Juncker était aux commandes de ce pays lorsque furent signés les accords secrets... Le voilà officiellement à la tête d'une enquête européenne qui vise sa propre politique. Ce matin, il a déclaré  : "La Commission a parfaitement le droit de lancer des enquêtes de ce type, qui ne concernent d'ailleurs pas le seul Luxembourg. La Commission fera son travail, moi je m'abstiendrai d'intervenir, puisque c'est un dossier qui concerne la commissaire chargée de la concurrence, qui doit avoir une grande liberté d'action et de propos. Je ne la freinerai pas, parce que je trouverai ça indécent. J'ai une idée sur le sujet, mais je la garderai pour moi."

 

Nous aussi, nous avons une idée sur le sujet ! Sans doute pas la même, et nous ne la gardons pas pour nous. C'est l'idée exprimée par le pape dans l'exhortation apostolique La joie de l'Evangile, au paragraphe 54 : "Dans ce contexte, certains défendent encore les théories de la 'retombée favorable' [ou du 'ruissellement'], qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n'a jamais été vérifiée dans les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du pouvoir économique dominant."  Et au paragraphe 56 : "Alors que les gains d'un petit nombre s'accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d'une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité..." C'était le véritable but du reagano-thatchérisme, puis du putsch ultralibéral des années 1990 ! Et le pape poursuit : "Ce déséquilibre procède d'idéologies qui défendent l'autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. Par conséquent, ils nient le droit de contrôle des Etats chargés de veiller à la préservation du bien commun... S'ajoutent à tout cela une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales... Dans ce système, qui tend à tout phagocyter dans le but d'accroître les bénéfices, tout ce qui est fragile, comme l'environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue."  Tout est dit.

Ce n'est pas par "confiance naïve" que les dirigeants des Etats européens ont confié la présidence de la Commission à M. Juncker, alors qu'ils étaient (fatalement) au courant des accords secrets qui coûtaient des milliards aux budgets de leurs nations. Comment qualifier cette terriblement coûteuse absence de naïveté, alors que ces mêmes dirigeants laminent les classes moyennes, se préparent à couper dans les retraites, et racleront le budget de la santé au point d'instaurer (à reculons) l'euthanasie ?**

La naïveté, et coupable, serait celle de l'opinion catholique française si elle continuait de fermer les yeux sur la véritable nature du système ultralibéral – qui s'est annexé la construction européenne. Le réveil des catholiques a commencé, je le vérifie dans toutes les régions. Mais il faut d'urgence l'élargir.

 

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* Documenté par l'ICIJ (Consortium international des journalistes d'investigation) sur la base d'une enquête de six mois et 26 000 pages.

** Même si justement dans ces domaines-là M. Hollande, ce soir, nous joue le pipeau du care.